Par Nathalie Lizé
Vendredi, 13 mars 2020, on annonce la fermeture des garderies et centres de la petite enfance pour cause de pandémie. La Covid 19 venait de faire son entrée dans les services de garde et ailleurs, avec son lot de contraintes et de mesures sanitaires contradictoires. Les professionnels de la petite enfance, directions, éducateurs, responsables de services de garde en milieu familial et en milieu scolaire se retrouvent, comme beaucoup de monde, devant l’incertitude. Quand allait-on retravailler? Allions nous recevoir un salaire? Qu’allait-il nous arriver? Ce sentiment de désarroi face à ces questions fut de courte durée pour les travailleuses du domaine des services de garde divers car nous avons appris, quelques heures plus tard que nous devenions des services essentiels pour les parents, travaillant dans les services essentiels. Nous devenions importantes et nécessaires. Nous devenions les anges gardiens, des enfants des anges gardiens
Complexe dès le début
Commence alors la valse des changements de mesures sanitaires. Certains milieux doivent fermer dû à un taux d’achalandage trop bas. Les consignes changent chaque semaine, les éducateurs en place doivent donc s’adapter à tous ces changements en vivant avec le stress de mettre leur santé et celle de leur famille en danger. Pendant des mois, de nouvelles mesures, de nouvelles tâches mais pas plus d’argent dans les poches. Pas de primes covid, pas d’ajustement salarial alors que les autres emplois essentiels ont droit à cette prime. Donc, une frustration supplémentaire pour les travailleuses des services de garde. On nous demande de faire de la désinfection, de nous changer le matin et le soir et lorsque des liquides corporels entre en contact avec nos vêtements , de laver nos mains, de porter le masque, de garder 2 mètres de distanciation avec les enfants, chose impossible à faire en petite enfance, de travailler avec des bulles-groupes. Nous devons également gérer à distance, l’école en ligne de nos enfants. Parce que nous aussi nous avons des enfants. Parce que même si nous ne travaillons pas en santé ou pour d’ autres services publics importants comme les policiers ou encore les pompiers, notre niveau de stress et notre capacité d’adaptation à nous aussi ont été mis à rude épreuve. Comme tous les citoyens, nous avons perdu des proches. Nous avons dû nous occuper de faire les courses de personnes vulnérables qui ne pouvaient pas le faire elles-mêmes. Nous nous sommes adaptés.
Les enfants des anges gardiens
Au début, dans les premiers mois de la pandémie, seuls les parents des services essentiels pouvaient bénéficier des services de garde d’ urgence. Donc, les enfants de ces derniers pouvaient fréquenter les milieux éducatifs les plus près de chez eux, qui n’étaient pas toujours leur garderie habituelle. Bien sûr, c’était logique et normal. Par contre, voir ces enfants, qui nous étaient confiés et que nous ne connaissions pas, devoir s’adapter à nous, étrangers, n’étaient pas toujours facile. En plus, ils n’ étaient souvent de passage que pour quelques jours. Comme les parents devaient rester à l’extérieur, ils nous laissaient les enfants à la porte. Les pauvres petits ne comprenaient rien de ce qui leur arrivait. Quand on est des professionnels de l’enfance et que notre première préoccupation est le bien-être des bambins, c’était très difficile à gérer émotivement. Nous avons malgré tout réussi à les réconforter et à leur faire vivre de beaux moments. Heureusement, les enfants ont une capacité d’ adaptation incroyable et les parents nous démontraient beaucoup de reconnaissance. La société a commencé à prendre conscience de l’ importance de notre travail. Les mesures sanitaires continuaient quant à elles de changer régulièrement. Il est arrivé à plusieurs reprises que ces mesures soient plutôt incompréhensibles ou même contradictoires. La désinfection, l’interminable désinfection qui prenait toute la place dans notre routine était ajoutée à la peur de cette maladie qui ne nous quittait pas. En plus, il fallait planifier, observer et continuer d’assurer le développement harmonieux de l’enfant. Nous avons travaillé des mois dans ces conditions. Bien sûr, si nous comparons au stress des travailleurs de la santé, c’est minime mais cela nous a quand même demandé de nous adapter.
Le retour à la normal
Puis un jour, on a annoncé le retour de nos petits dans nos garderies et centre de la petite enfance. Nous étions toutes contentes de pouvoir les accueillir à nouveau. Fatiguées, nous avions tout de même hâte de les revoir pour vivre un certain retour à la normale. Nous avons vite compris que ces petits, qui avaient passé plusieurs mois à la maison avec des parents pour la majorité en télétravail, n’étaient pas les mêmes qu’ en mars 2020. Les parents avaient fait de leur mieux mais les enfants ont souffert du manque de contacts sociaux entraîné par la pandémie. Pour certains, le retour a été difficile et nous avons travaillé fort pour les rassurer. Les mesures sanitaires changeaient encore toutes les 2 semaines et continuaient d’être compliquées.Nous devions également demander régulièrement aux parents de venir chercher leurs tout-petits au moindre nez qui coule. Ils avaient gardé leurs enfants longtemps à la maison et ne pouvaient plus se permettre de ne pas travailler. Alors, nos appels n’étaient pas toujours bien reçus. Nous comprenions leur réaction mais c’était parfois difficile à accepter.. La pandémie nous a fait perdre des éducatrices qui sont parties en retraite anticipée ou encore,par crainte, à cause d’une santé fragile, ne sont pas revenues. Elles nous manquent aujourd’hui ces collègues! Depuis, la pénurie de main d’œuvre se fait davantage sentir et cela nous amène un stress supplémentaire mais nous continuons de nous adapter.
Et aujourd’hui
Deux ans plus tard, que dire de notre santé mentale et physique? Le personnel éducateur et les directions des services de garde sont fatigués et tentent, tant bien que mal, de garder le cap. La passion est toujours là mais l’énergie manque. Nous avons moins peur de la maladie. Les vaccins sont arrivés pour nous rassurer. La vie normale reprend lentement son cours. Les mesures sanitaires diminuent et deviennent plus faciles à appliquer. Nous avons l’espoir de pouvoir retirer le masque dans certaines circonstances bientôt. Le gouvernement semble démontrer une petite ouverture pour reconnaître notre travail mais le mal est fait. Malheureusement, en plus des départs, des fermetures de plusieurs milieux, il y a parmi les plus jeunes, des personnes qui pensent à réorienter leur carrière. Les cohortes de relève sont peu nombreuses et malgré les mesures gouvernementales, nous manquons dramatiquement de personnel. Celles qui sont parties ne reviendront probablement pas même avec des incitatifs financiers. On peut comprendre de quoi il s’agit dans cet article du Journal de Québec qui décrit l’aide proposée.
Bien sûr nous voyons la lumière au bout du tunnel. Nous continuons d’être là pour les familles, de donner le meilleur de nous-mêmes. Nous nous sommes adaptés et continuons de le faire mais, la capacité d’ adaptation de l’être humain a ses limites et nous commençons nous aussi, à être à bout de souffle. Je peux vous dire que je sens cette fatigue accumulée au fil des mois qui ne me lâche pas. Je sens ce désir de partir, de m’éloigner de tout ce stress. Par contre, je préfère me relever les manches et continuer. Je compte sur la force de ces professionnelles de cœur qui m’ entourent et me prouvent chaque jour qu’ elles sont fortes et consciencieuses. Je préfère foncer et montrer à cette covid 19 qu’ elle ne gagnera pas, malgré tout.
A bientôt
Nathalie Lizé agente de soutien pédagogique et coach familial